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Liaisons intimes entre le Pays Basque et le Japon (en Mediabask.eus)

10/06/2023

Entre rencontres inopinées et liens privilégiés, les cultures basque et japonaise se jaugent à distance. L’année 2023 Euskadi-Japon vient célébrer les multiples relations qui unissent depuis longtemps déjà ces deux régions du monde.

Enlace: Mediabask.eus

Gil Arrocena. Rien ne semble plus opposé à un état asiatique de 126 millions d’habitants que les sept provinces basques à cheval sur deux états avec leurs trois millions d’habitants. Pourtant, de nombreux points communs permettent d’établir un rapprochement car l’on passe plus facilement qu’on pourrait le croire de l’Extrême-Orient aux Pyrénées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Iñigo Urkullu a reçu en janvier dernier l’ambassadeur du Japon afin de présenter l’année 2023 Euskadi-Japon qui met en valeur des intérêts communs. Cette initiative resserre les liens entre les deux régions en multipliant la collaboration dans les domaines institutionnel, commercial, culturel et touristique. Même si un inventaire à la Prévert des points communs entre les deux cultures ne prouve rien, sa cohésion dépasse les heureux hasards.

Genèse • La présence basque sur l’archipel remonte à François Xavier. Si le jésuite n’a pas découvert le Japon, son apostolat y a introduit le christianisme. En 1549, le Navarrais n’a peur de rien à son arrivée dans “l’empire du démon”. Grâce à l’intercession de son ami japonais Anjirô, il parvient à quelques centaines de conversions, mais l’empereur n’écoute pas ses sermons. Après avoir voulu convertir en vain les Japonais à travers les intellectuels et leurs dirigeants politiques, François Xavier qui éprouve un sincère respect pour la culture japonaise, se résout à s’y adapter plutôt que de la remplacer. Par amour pour la culture nippone, il apprit sa langue et ses coutumes. De nos jours, les Japonais sont nombreux à visiter le château de François Xavier en Navarre, et depuis 1994, une copie du château avec un musée ont été construits sur l’archipel, dans le parc thématique de Shima.

À l’instar de François Xavier et d’autres missionnaires basques, Sauveur Candau (Saint-Jean-Pied-de-Port 1897 - Tokyo 1955), a vécu plus de 20 ans au pays du Soleil-Levant où il s’est adapté à la culture pour transmettre les évangiles. Précisément, la “méthode psychologique” de Candau consiste à s’approprier la manière de penser japonaise pour communiquer la foi. Les nombreux missionnaires basques ont eu conscience des affinités culturelles avec le Japon, comme Justo Segura décédé à l’âge de 89 ans sur l’archipel en mars 2023, après y avoir vécu 60 ans.

Châtaignes • Au Pays Basque Nord, la châtaigne basque a failli disparaître en 1870 à cause de la maladie de l’encre. Au début du XXe siècle, des propriétaires ont alors décidé de planter une nouvelle espèce de châtaigniers obtenue par un missionnaire basque au Japon. Plusieurs dizaines d’hectares de la variété Japonica parsemés de vieux châtaigniers européens descendent encore de ces arbres nippons, adaptés au Pays Basque et résistants.

Géographie • Sur la mappemonde, ces deux régions possèdent d’évidentes similitudes géographiques. Les montagnes et les collines qui occupent les deux tiers de l’archipel rappellent la morphologie du Pays Basque des deux côtés des Pyrénées. L’un comme l’autre sont aussi étroitement liés à l’océan. Une étude de géographie humaine montrerait le rôle déterminant de ces lieux, où la mer côtoie la montagne, sur la mentalité des habitants.

Sport • Ces deux régions de chasse à la baleine maintiennent leurs sports traditionnels avec une remarquable ferveur. L’aïkido, le kendo, sans oublier le sumo seraient les pendants des épreuves de force basque, des régates de traînières ou de pelote.

Le football rapproche également les deux territoires. Ainsi, depuis juillet 2022, Take Kubo, l’ailier gauche de la Real Sociedad, a conquis le public de Donostia. Le club a créé un compte Twitter officiel en japonais, où une vidéo utilise l’image d’un samouraï masqué armé d’un katana afin de présenter Take Kubo, tel “le nouveau guerrier txuri urdin”. Le joueur de la sélection nippone est devenu le meilleur ambassadeur du Pays Basque au Japon.

Langues • Aucune relation linguistique ne peut être établie entre le basque et le japonais. Même si plusieurs coïncidences de vocabulaire de-meurent troublantes. Pour dire oiseau, le txori basque est le frère jumeau du tori japonais. De manière plus générale, seules la prononciation et la syntaxe permettent d’établir des similitudes. Cette proximité apparente doit en vérité beaucoup aux consonances : Galdakao, Tokyo, Bilbo, Kobe, Elantxobe, Osaka, Mundaka, Taki, Oñati... En vérité, si les deux langues étaient réellement proches, pendant la Seconde Guerre mondiale les américains n’auraient jamais fait appel à l’euskara afin de transmettre les informations contenant l’heure exacte des opérations contre l’empire du Japon ! Et si l’euskara ne fut pas utilisé de manière plus systématique par les forces alliées, ce fut à cause d’une colonie de Basques vivant sur l’archipel : les missionnaires.

Théâtre • Le théâtre classique japonais implique une tendance à la stylisation et à l’esthétisme qui font écho à la prégnance du bertsolarisme au Pays Basque.

Littérature • Si les romans de Murakami et les mangas sont mondialement célébrés, en revanche, la reconnaissance de la littérature basque par le public japonais semble unique au monde. En 2015, le magazine littéraire Hon no Zasshi qui publie chaque année la liste des dix meilleures œuvres de littérature parues au Japon, a mis en cinquième position, Mussche de Kirmen Uribe. L’écrivain d’Ondarroa se trouve classé aux côtés d’auteurs tels que Michel Houellebecq, David Mitchell ou Kazuo Ishiguro. Directement traduit du basque au japonais par Nami Kaneko, son roman a rencontré un succès critique et public. Touchant la littérature pour la jeunesse, les histoires de Txola de Bernardo Atxaga réunies en 2022 dans un livre font partie de la sélection des meilleures œuvres de la littérature universelle pour les enfants établie par l’éditeur japonais Shogakukan.

Bien sûr, la reconnaissance de la culture basque au Japon n’empêche pas de constater, entre autres, l’abîme des valeurs entre les revendications dans la vie publique basque et l’impossibilité de contredire ouvertement son interlocuteur dans la société japonaise, par ailleurs très hiérarchisée.

Tourisme • Aujourd’hui, les échanges culturels ont lieu à l’occasion des voyages. Entre 2008 et 2019 à Donostia, selon l’Office de tourisme, le nombre de visiteurs annuel est passé de 2 000 à presque 50 000. Le personnel en contact avec les Japonais reconnaît son vif intérêt pour la culture locale. À Errenteria, l’agence Discovery Basque de Kaori Numayama organise des voyages au Pays Basque en japonais pour les Japonais.

Mode • Dans un autre cadre d’échanges, les japonais consomment de la mode basque. Par exemple, la marque Art of Soule y est distribuée dans les grandes enseignes et vend chaque année des dizaines de milliers d’espadrilles.

Économie • La Communauté autonome basque dispose à Tokyo d’une délégation politique avec le bureau d’affaires commerciales de l’agence bas-que d’internationalisation, qui facilite les opportunités des entreprises basques sur l’archipel et attire des investissements japonais au Pays Basque en retour. La signature en 2019 du protocole d’accord dans les secteurs de l’automobile et des énergies renouvelables a mis en évidence l’intensité des relations entre ces deux économies complémentaires. Ainsi, les exportations de produits basques sont passées de 112 millions d’euros en 2018 à 156 millions en 2021.

En fin de compte, si les intérêts économiques bien compris peuvent être mis en avant pour rendre compte du rapprochement entre le Pays Basque et le Japon, leur relation demeure irréductible à un simple calcul gagnant-gagnant. Jalouses de traditions qui remontent à un lointain passé, orgueilleuses, patriotes et conscientes de leur singularité, les deux régions s’avèrent pareillement ouvertes sur le monde et le dialogue avec les autres cultures, sans quoi la traversée du nouveau millénaire serait un naufrage. Leurs spécificités autant que leur compatibilité attisent le rapprochement entre l’archipel nippon et les sept provinces. Ces affinités interculturelles semblent reposer sur un dénominateur commun, à savoir le respect des différences lié au désir de reconnaissance. Chaque société s’admire dans le miroir qu’elles se tendent l’une à l’autre, du Pacifique à l’Atlantique. En outre, le Pays Basque peut éveiller la conscience du Japon à sa propre diversité culturelle, comme l’archipel montre une vision spirituelle de l’existence, où chaque tâche quotidienne se révèle extraordinaire.

L’éloignement géographique et culturel nourrit le désir d’être plus forts ensemble. Cette stratégie insuffle une dynamique d’échange et de croissance partagée. à l’ère de la globalisation à marche capitaliste forcée, la subtile harmonie entre les deux peuples se renforce. Basé sur l’échange interculturel et le respect de l’altérité, un autre monde est possible.

Année Euskadi-Japon



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