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Connaissez-vous les arborglyphes, ces gravures réalisées par les Basques dans l'Ouest américain ? (en GEO)

22/07/2024

À travers les montagnes de l'Ouest américain, des gravures cachées sur les troncs des trembles témoignent des histoires des bergers basques qui les ont laissées en traversant ces régions avec leurs troupeaux. Un projet vise à enregistrer et protéger ces témoignages culturels uniques, révélant les émotions et les histoires des immigrants basques des États-Unis.

Enlace: GEO

Mathilde Ragot. La sierra Nevada, la chaîne Ruby, le chaînon Sawtooth… Ces trois chaînes de montagnes de l'ouest des États-Unis ont un point commun. Sur les troncs d'arbre de leurs paysages ont été retrouvées des gravures, autrefois inscrites par des bergers basques. Appâtés par la ruée vers l'or des années 1840, ces hommes ont quitté leur territoire du nord de l’Espagne et sud-ouest de la France pour les régions aurifères des Amériques, en quête de richesses.

Environ 25 000 de ces arborglyphes – lertxun-marrak en basque – des écritures comme des dessins, ont été identifiés au fil du temps… et il pourrait en exister bien plus, dissimulés dans les forêts. Plusieurs institutions académiques et musées visent à les documenter et à les préserver. Car avec le vieillissement des arbres, les pratiques de pâturage, les incendies et plus généralement le changement climatique, ces curiosités historiques se voient menacées, alertent les membres du projet dans un article de The Conversation du 20 juin 2024.

Gravures d'exil : des empreintes basques outre-Atlantique

Il y a près de 200 ans, les Basques sont confrontés à des tensions politiques et sociales majeures. La défaite des carlistes en Espagne entraîne la suppression progressive des fueros, garantissant leurs privilèges locaux. Malgré les pressions centralisatrices, les habitants du Pays basque d'un côté ou de l'autre des Pyrénées se battent pour préserver leur langue et leurs traditions culturelles. L'industrialisation transforme progressivement certaines régions, notamment la Biscaye, si bien que les populations rurales se déplacent vers les centres urbains.

En raison d'opportunités économiques, d'un besoin d'échapper au service militaire obligatoire ou à la persécution politique, ou pour d'autres causes personnelles encore, des Basques émigrent au-delà de l'Atlantique, notamment vers l'Argentine, l'Uruguay… et les États-Unis. La plupart sont issus des classes populaires agricoles. Alors avec le développement de l'industrie de l'élevage de moutons dans l'Ouest, ils trouvent un emploi stable en tant que bergers.

Ils y pratiquaient la transhumance, pratique pastorale traditionnelle : au printemps et en été, les moutons étaient amenés dans les hautes montagnes pour le pâturage ; puis en automne, les berges migraient vers les vallées avec leurs troupeaux pour y passer l'hiver. Les Basques, seuls dans les collines, en profitaient pour graver sur les arbres leurs pensées, rêves, souhaits et défis en basque, espagnol, français et anglais. Aucun thème n'était mis de côté.

Dans The Conversation, les chercheurs donnent des exemples de ces œuvres : des slogans politiques Gora Euskadi ("Vive le Pays basque"), pour lesquels leurs auteurs auraient été arrêtés chez eux ; des dessins de croix, commémorant les fêtes de certains saints ; des bateaux, sans doute inscrits par ceux provenant autrefois de villages de pêcheurs ; des vers et poèmes évoquant le désir de revenir au pays. "Ces gravures reflètent une variété d'émotions et d'expériences humaines, avec la nostalgie jouant un rôle prééminent", écrivent-ils.

Une odyssée pour préserver ces traces du passé

Parce qu'ils fascinent toujours, deux siècles après avoir été tracés, les membres du projet Lertxun-marrak: The Arborglyph Collaborative tentent d'enregistrer autant de gravures que possible avant qu'elles ne disparaissent. Pour ce faire, ils suivent les traces des berges à travers les montages. "Comprendre la zone de pastoralisme nous aide à identifier les forêts où les bergers ont gravé sur les trembles", notamment quand elles se situent près de sources, expliquent-ils dans la publication. Un arborglyphe trouvé, et bien d'autres sont susceptibles d'être mis au jour. Ils se cachent en groupes, dans des zones où les bergers passaient en nombre.

Frottage de l'écorce avec de la cire noire, descriptions détaillées, dessins, photographies, vidéos… Si de nombreuses techniques ont été employées pour capturer ces précieux artefacts culturels, aujourd'hui, ils sont enregistrés grâce à la photogrammétrie, qui permet de produire des modèles tridimensionnels détaillés et réalistes. Grâce aux nouvelles technologies, les gravures et leurs environnements peuvent également être projetés en réalité virtuelle. Ils permettront à tous ceux qui le veulent de s'imaginer au plus près des berges basques de l'Ouest américain, à côté de leurs réalisations qui, sans cela, seront finalement perdus.

Faire le lien avec les proches de ceux qui sont partis

Les scientifiques souhaitent aussi établir des liens avec tous ceux qui s'intéressent à ce qu'ils ont d'abord appelé des "galeries vivantes" : "ceux des communautés locales qui souhaitent comprendre l'expérience de ces immigrants ; les artistes qui voient les trembles comme une toile et les gravures comme un art distinct ; les chercheurs et les organismes gouvernementaux, les randonneurs, les chasseurs et les coureurs qui les découvrent dans l'arrière-pays, le grand public".

Mais aussi, les familles et amis de ceux qui ont autrefois quitté leurs terres natales. Les chercheurs évoquent l'exemple d'une de leurs étudiantes, venue aider à marquer les emplacements GPS des arborglyphes dans les montagnes au-dessus d'Idaho City.

Elle souhaitait ainsi mieux comprendre l'expérience de son père, qui a quitté le Pays basque pour travailler comme berger aux États-Unis et est décédé lorsqu'elle était jeune. "Lorsqu'elle a trouvé les gravures réalisées par son père, des larmes ont coulé sur ses joues alors qu'elle ressentait un flot d'émotions", est-il raconté dans The Conversation, où les experts concluent ainsi :

" Des histoires comme celle-ci démontrent la valeur de la préservation de ces artefacts qui ravivent les voix et les souvenirs de ces immigrants dans l'Ouest américain. "



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